Droit des étrangers – réforme de la procédure au Conseil d’Etat

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Le Ministre Dewael a proposé au Kern une réforme de la procédure au Conseil d’Etat, principalement en matière de droit des étrangers, dont le contenu est catastrophique à certains égards, tant pour les justiciables que pour les avocats, mais également pour le pouvoir judiciaire.

 

Le Ministre propose de simplifier la procédure au Conseil d’Etat en supprimant la procédure en suspension pour ne conserver que la procédure en annulation. Concrètement cela veut dire que :

 

1.       Lorsqu’un justiciable voudra introduire un recours contre une décision de l’Office des étrangers ou du Commissariat général aux réfugiés, assortie d’un ordre de quitter le territoire, il ne pourra plus demander la suspension de celle-ci durant l’examen de sa demande d’annulation. Or la procédure en annulation peut prendre plusieurs années avant de déboucher sur une décision (actuellement 3 à 4 ans !). La Cour des droits de l’homme de Strasbourg, dans son arrêt Conka, avait déjà condamné la Belgique, en raison de l’absence d’effectivité des recours introduits par les étrangers au Conseil d’Etat : en effet, un recours en suspension qui ne met pas à l’abri d’une expulsion l’étranger qui l’introduit pose un problème d’effectivité, puisqu’à tout moment l’étranger risque d’être expulsé avant même que le Conseil d’Etat ait pu rendre sa décision !

 

2.       Par son projet de supprimer la procédure en suspension, le Ministre amplifie cette problématique d’absence de recours effectif, et se moque complètement des enseignements de la Cour des droits de l’homme. Nul doute que cette mesure, si elle était adoptée, entraînerait rapidement une nouvelle condamnation de la Belgique à Strasbourg.

 

Il ne restera plus aux avocats, pour demander la suspension de la décision contestée, que la procédure en référé judiciaire qui s’introduit au Président du Tribunal de Première Instance. Théoriquement, chaque président de tribunal de première Instance sera compétent mais on peut gager que celui de Bruxelles sera le plus sollicité, or il s’agit de celui qui a déjà le plus gros arriéré !

 

Cette idée du Ministre de l’Intérieur montre son peu d’égards vis-à-vis de la Ministre de la Justice qui tente de trouver des remèdes à l’arriéré judiciaire, et fait preuve d’un manque total de coordination !

 

Une autre proposition du Ministre de l’Intérieur est de réserver la procédure au Conseil d’Etat en matière de droit des étrangers aux avocats qui justifient de 10 années d’expérience au barreau. Cela pose problème à deux niveaux :

 

1.       Tout d’abord, le droit d’accès à la justice pour le justiciable : les étrangers concernés sont pour la plupart en situation d’indigence puisqu’ils n’ont dans la majorité des cas pas le droit de travailler. Ordinairement, ce sont les avocats pro deo qui assument leur défense. Or, ceux-ci sont majoritairement des stagiaires. Les avocats qui justifient de 10 années d’ancienneté et qui sont volontaires pour assumer la défense de ces personnes en pro deo sont très rares.

 

2.       Enfin, cela rendra plus difficile le travail de l’avocat. En effet, l’avocat pro deo qui suit le dossier depuis le début et connaît parfaitement la situation de son client devra, lorsqu’il s’agira d’introduire le recours au Conseil d’Etat, passer la main à un confrère qui a 10 ans d’ancienneté. Or, il arrive fréquemment que le Président du Conseil d’Etat pose à l’audience des questions très factuelles sur le dossier de son client. L’avocat qui n’est pas intervenu dès le début du dossier risquera de se trouver dans une situation délicate à l’audience.

 

Il y a, dans cette note du Ministre de l’Intérieur, une discrimination flagrante vis-à-vis des étrangers, puisqu’il est question ici de réduire leurs droits fondamentaux en matière de procédure !

 

La Ligue des droits de l’homme a réagi par rapport à cette note dont elle relève le leitmotiv sous-jacent du Ministre : « Cachez ce pauvre contentieux que je ne peux voir » !

 

La Ligue rappelle que l’origine de la surcharge au sein du Conseil d’Etat trouve sa cause dans le travail de l’Office des étrangers et dans l’absence de politique cohérente, notamment dans le cadre des régularisations (Art. 9 al. 3 de la loi du 15 décembre 80).

 

Elle explique que le Ministre de l’Intérieur annonce des mesures qu’il n’applique pas. Par exemple, le Commissariat aux Réfugiés et aux Apatrides reste bloqué avec des vieux dossiers qu’il ne traite pas parce que le Ministre avait annoncé une régularisation de ces dossiers il y a deux ans. Le CGRA doit par la suite les traiter parce que la régularisation annoncée n’a pas lieu.

 

La Ligue rappelle également que la suppression du recours en suspension au Conseil d’Etat est une violation de la Convention européenne des droits de l’homme : « Non content de ne pas avoir tiré les conséquences (de l’arrêt Conka contre la Belgique rendu par la Cour de Strasbourg), le Gouvernement envisagerait de faire deux, trois ou dix pas en arrière par rapport à cet arrêt… en supprimant toute procédure de référé administratif ».

 

J’ai déposé une proposition de loi modifiant, en vue d’instaurer une Commission permanente de recours des étrangers, la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ainsi que le code judiciaire (doc 51 – 69)disponible auprès de ma collaboratrice: sandrine.couturier@ecolo.be.