Veut-on faire d’Ecolo le nouveau porte-drapeau du « come back religieux » et, ce faisant, d’une approche communautariste, voire électoraliste de la politique ?

 

Bruxelles est une ville marquée plus que toute autre par l’immigration. Ce constat impose à ses responsables de s’accorder sur un récit commun qui permette aux Bruxellois de se projeter ensemble dans leur avenir. Il importe dès lors de bien choisir les mots. Favoriser le vivre ensemble, bâtir une société inclusive fondée sur l’égalité exige de renoncer aux concepts qui divisent.

Cette question est au cœur de mon engagement. Militante Ecolo depuis 1982 et mandataire politique à différents niveaux, j’ai la chance de parcourir Bruxelles de long en large et de rencontrer les populations les plus diverses. Je suis toujours frappée par la diversité des parcours et par la détermination de nombreux Bruxellois à améliorer leur vie et celle de leurs proches. J’ai également toujours défendu les principes d’égalité, d’ouverture et de lutte contre les discriminations.

Dans une interview récente parue dans Le Vif, Philippe Lamberts, parlementaire européen Ecolo, considère que la laïcité revient à nier toute aspiration spirituelle qu’il ne semble, au passage, accorder qu’aux convictions religieuses. Il déclare qu’« En Europe, depuis les Lumières, le combat pour le libre-examen, pour la reconnaissance d’un être humain capable de penser par lui-même, a été un combat difficile contre le pouvoir des églises chrétiennes. Ce combat de la laïcité devait être mené. Mais je pense que c’est allé trop loin ».

Cette tendance manifeste au retour du religieux dans l’espace public doit être confrontée à une approche qui cherche des solutions réelles aux défis de notre société. Veut-on faire d’Ecolo le nouveau porte-drapeau du « come back religieux » et, ce faisant, d’une approche communautariste, voire électoraliste de la politique ?

Dans le même ordre d’idées, l’évolution de mon groupe politique local m’inquiète. Sa position sur la neutralité et la laïcité dans les institutions prend une orientation qui ne me paraît pas être conforme aux valeurs défendues par Ecolo en vue de rendre possible le «vivre ensemble» dans le respect d’un socle commun. J’ai porté la question de la ligne politique d’Ecolo en la matière au niveau des instances fédérales sans obtenir à ce jour de réponse claire. Est-ce un débat qui fait peur ?

Diverses interventions, en interne comme en public, de collègues Ecolo à la Ville de Bruxelles me posent en effet problème. Comment peut-on affirmer que « les politiques de neutralité ont comme objectif de créer de la discrimination » ? Comment, depuis les bancs d’EcoloGroen au Conseil Communal, peut-on aller jusqu’à déclarer aux autorités de la Ville que: « Au nom de ce principe de neutralité́ que vous utilisez comme instrument de discrimination et de stigmatisation d’une certaine communauté́, vous bafouez la dignité́ de ces femmes » ? (Compte rendu du CC du 3/10/2016).

Envoyer un message comme celui-là à la communauté de confession musulmane et faire accroire l’idée que le principe de neutralité la discrimine ne va pas faciliter, chez certains tout au moins, la compréhension de ce que sont les objectifs de neutralité dans l’enseignement public « qui vise à garantir le respect des convictions personnelles de chacun et l’épanouissement de nos enfants ».

Que l’on puisse contester les résultats de cette approche laïque me semble faire partie du débat politique. Mais que, délibérément, on la disqualifie en lui imputant une volonté de discriminer la communauté musulmane me semble irresponsable voire dangereux.

Pour avoir beaucoup écouté les griefs de certains jeunes ou de certains groupes, je le sais, il existe une forme de haine contre notre société. Elle s’exprime soit par le repli, soit même par l’agression. Conforter le sentiment que la discrimination est intentionnelle ne nous mènera qu’à des nouvelles confrontations.

Est-ce vraiment responsable de la part d’Ecolo de renforcer le sentiment de discrimination chez certains jeunes musulmans ? Ne devons-nous pas, au contraire, nous appliquer à faire de la pédagogie avec les citoyens et leur expliquer que la neutralité et la laïcité visent précisément à renforcer l’égalité et donner les mêmes chances à chacun ? Nous l’oublions trop souvent : c’est le fondement du principe de la séparation du religieux et de la gestion publique!

Nous, écologistes, devons être porteurs d’un projet qui valorise les opportunités plutôt que d’exacerber les divisions. Nous devons nous atteler à lutter contre les discriminations et, avec la même vigueur, réfuter tout discours qui attise les peurs.

La poursuite de l’égalité de traitement de tous les citoyens a toujours été l’un des piliers de mon action comme d’ailleurs des combats menés par Ecolo. En tant que parlementaire j’ai déposé ou cosigné des propositions de loi pour la régularisation des sans-papiers et pour le droit de vote des citoyens n’ayant pas la nationalité belge.

Nous nous sommes battus ensemble contre la discrimination et l’exclusion et encore aujourd’hui nous continuons à nous battre pour l’accueil des réfugiés.

Alors, c’est avec confiance et en toute amitié que j’invite Ecolo – mais aussi, les autres formations démocrates – à ouvrir rapidement un débat de clarification nécessaire. De telles questions appellent une autre réponse que des slogans simplistes et clivants. Elles exigent des capacités d’ouverture, de dialogue et, reconnaissons-le, un effort supplémentaire de formation à la démocratie et à la politique.

Nous, écologistes, devons ce débat à nos militants, à nos sympathisants et à nos électeurs qui, j’en suis convaincue, se reconnaissent majoritairement dans cette aspiration à bâtir ensemble une société inclusive.

Je n’aurais pas été fidèle à mon combat ni loyale à Ecolo si je n’avais pas fait entendre cette voix différente.

 

Marie Nagy

Ex–Députée

Cheffe de Groupe EcoloGroen au Conseil Communal de la Ville de Bruxelles

Cette carte blanche est parue le 21 mars 2017 dans le journal Le Soir.