Constitution européenne : le jour d’après

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Carte Blanche co-signée par Marie Nagy (Députée Ecolo), Philippe Van Muylder (Secrétaire Général de la FGTB-BXL), Julie Fiszman (Députée Socialiste).

Pour comprendre la crise que traverse aujourd’hui la social-démocratie européenne et sa cristallisation autour du débat constitutionnel, il faut sortir des élans lyriques qui présentent ce traité comme une « trahison » ou sa dénonciation comme du « populisme ». En réalité, le traité constitutionnel est un texte de compromis dont l’équilibre se situe dans la continuité des textes qui l’ont précédé. Etablir une nouvelle stratégie aujourd’hui suppose d’être capable d’analyser ce processus sur le long terme.

La construction européenne s’est faite grâce à une alliance politique rassemblant l’essentiel de la droite et des sociaux-démocrates de l’Union autour de deux objectifs consensuels : la paix et la prospérité. Concrètement, l’œuvre majeure de cette alliance inédite fut l’intégration économique des pays de l’Union à travers la création d’un marché unique puis d’une monnaie commune. Cette intégration économique a permis la modernisation de notre structure de production et une croissance plus forte mais elle a aussi modifié le rapport de forces entre travail et capital en faveur de ce dernier. Prenant conscience de ce déséquilibre, une partie de la gauche a proposé d’accompagner l’intégration économique par de nouvelles régulations et l’établissement de standards sociaux communs. Néanmoins, divisée en interne, la gauche sociale-démocrate n’a pas réussi à dépasser l’opposition de ses alliés de droite et s’est donc contentée de modifications marginales, tout en continuant à participer au processus au nom de son idéal européen.

Les négociations sur l’avant-projet de traité constitutionnel se sont inscrites dans la continuité de ce compromis politique. En effet, la gauche continentale a maintenu son alliance avec la droite fédéraliste pour obtenir une intégration politique plus forte -ce qui a permis les quelques progrès constatés à ce niveau- mais elle s’est à nouveau retrouvée isolée sur les enjeux économique et sociaux. De ce fait, si le projet de constitution ne constitue pas un recul sur ces matières, il ne contient rien qui permette de corriger le déséquilibre initial. Le choix des socialistes européens de l’approuver malgré tout s’inscrivait dans la continuité de leur stratégie historique : défendre l’intégration européenne par principe et ce indépendamment de la réalité sociale que ce choix implique. Cette stratégie se base sur l’espoir que l’intégration institutionnelle entraînera de facto la constitution d’un espace politique dans lequel un rapport de forces gauche/droite classique permettra peut-être, un jour, d’avancer vers une véritable Europe sociale.

Cependant, les referendums français et hollandais ont montré que cette stratégie attentiste est désormais « invendable » auprès des classes populaires européennes. En effet, victimes d’une insécurité économique et sociale croissante, celles-ci voient dans le marché unique et les institutions européennes qui l’accompagnent un « amplificateur de problèmes » plutôt qu’une protection utile pour eux et leurs familles. Le décalage entre les discours pontifiants des leaders sociaux-démocrates européens sur la « paix » et les nouveaux « droits fondamentaux » et le vécu social des travailleurs fut sans doute l’élément marquant de la campagne en France. Il confirmait une prise de distance déjà apparue à travers la baisse continue de la participation électorale en Grande-Bretagne, le succès de leaders populistes comme Jorg Haïder et Pim Fortuyn ou des défaites emblématique comme celle de Rhénanie-Westphalie en Allemagne.

Cette prise de distance avec les classes populaires constitue une menace existentielle pour la social-démocratie européenne mais, malgré le danger de les voir se réfugier encore plus massivement dans l’abstention ou le vote protestataire, celle-ci semble vouloir passer outre le désaveu de sa base et maintenir sa politique actuelle en espérant que les circonstances lui permettront de rééquilibrer les choses « plus tard ».

Cette stratégie offre l’avantage de la cohérence avec le discours tenu « il n’y pas moyen de faire mieux, il faut accompagner le mouvement » mais elle présente un défaut logique. Prétendre obtenir plus dans le futur suppose d’améliorer le rapport de forces d’ici là. Or, si on ignore le message des classes populaires, on risque de voir s’affaiblir encore leur soutien et, partant, la position relative de la gauche européenne…

L’arrogance des réactions devant le résultat du vote populaire en France et aux Pays-Bas fait même craindre qu’à terme la gauche social-démocrate, désespérant de récupérer sa base naturelle, fasse le choix implicite de l’abandonner à son sort et se contente – comme le parti démocrate américain – de chercher à séduire les minorités et les cadres « culturellement à gauche ». Elle s’enfermerait alors dans une logique de déclin.

Pour éviter ce scénario, il faut que ceux des socialistes et des écologistes européens qui souhaitent vraiment une Europe plus sociale et plus démocratique reprennent l’initiative et envoient un signal clair à leurs électeurs. Il faut désormais que les forces politiques de gauche conditionnent à une véritable prise en compte des intérêts des classes populaires leur participation à l’approfondissement de l’Union européenne. L’objectif doit être de promouvoir l’Union Européenne comme une instance plus politique, capable de renouveler notre modèle de protection sociale et de promouvoir un modèle durable de ses politiques. Cette stratégie ne mènera pas forcément à de grandes victoires sur le court terme, mais elle permettra de regagner de la crédibilité auprès des travailleurs et de commencer à préparer les rendez-vous futurs.

Le sommet des chefs d’Etats des 16 et 17 juin doit être l’occasion de concrétiser cette nouvelle stratégie. Il faut que la gauche européenne soit capable de relever ce défi !